Licenciement : Divorce entre chefs d’entreprise et salariés
Selon une enquête du 12 septembre 2019 du Ministère du Travail, il semblerait que le marché de l’emploi ne se soit jamais aussi bien porté que ces deux dernières années (de mi 2017 à mi 2019). Cette enquête révèle des difficultés à recruter qui atteignent des sommets en 2018 : un taux de CDI en hausse, des sous-emplois en baisse et des salaires qui stagnent. La tendance s’affirmait jusqu’au confinement qui, dans les mois à venir, devrait dramatiquement inverser la tendance.
Beaucoup de licenciements sont-ils prévus dans les mois à venir ?
Absolument ! Les Pôles Emplois recrutent pour être en mesure de recevoir les demandeurs d’emploi à venir. Les avocats, experts-comptables et les Tribunaux de Commerce craignent aussi un accroissement des procédures de liquidation (fermetures) et de protection des entreprises (sauvegardes et redressements judiciaires) de la rentrée au printemps 2021 dans le meilleur des cas, avec un pic sur la fin d’année 2020. Il semblerait que le monde économique se prépare à une vague de licenciements sans précédent (toutes causes confondues).
La France est en récession depuis ce printemps. Les employeurs seraient 22% à envisager des licenciements pour tenter de sauver leurs entreprises. 1 sur 5 ! Le dernier trimestre 2020 devrait être une période difficile pour les salariés, mais également pour les dirigeants. Il ne faut pas croire que le licenciement n’est insupportable à vivre que pour les futurs licenciés. La démarche est également violente pour les chefs d’entreprise. En effet, si les groupes et les grosses boîtes ont des DRH pour procéder aux ruptures de contrat de travail, les « petits patrons » se retrouvent eux, à devoir exercer cette prérogative qui leur revient, sans être formés pour ça.
Psychologiquement, c’est normal que ce soit difficile de licencier un(e) salarié(e) ?
Oui, bien évidemment. Licencier un(e) collaborateur(trice), n’est pas naturel. D’autant que si l’on parle de licenciement, cela sous-entend que dans les petites entreprises, c’est le/la chef(fe) d’entreprise qui recrute ET licencie. Si d’un côté juridique, c’est souvent le comptable qui s’y colle (dans le pire des cas, c’est un avocat), la mise en place de la procédure et le côté psychologique sont réservés au Boss. Soulagement ou culpabilité, il est impossible de ne rien ressentir ! Nous pouvons être bouleversé ou angoissé à l’idée de passer à l’acte. C’est extrêmement difficile, même si le licenciement est justifié d’une façon ou d’une autre.
La situation est presque similaire à un divorce. Le/la quitté(e) subit, et l’instigateur(trice) de la demande peut se sentir responsable du malheur du quitté et des personnes qui dépendent de lui/elle.
Le plus simple est, à mon avis, de faire un petit tour de la question avec un spécialiste du problème pour comprendre ce qui peut se passer dans notre tête. Psychanalyste et conférencier, Frédéric Duplessy, ancien chef d’entreprise et directeur de la communication, accompagne des dirigeants dans leur capacité d’analyse au sujet de psychodrames qui se jouent dans leur boîte, de la qualité de vie au travail, de leurs blocages, angoisses et inhibitions mais aussi dans leur posture de leader.
Interview
Les Chroniques d’Adélaïde : Selon votre expérience, me confirmez-vous que le licenciement est un acte qui peut être difficile pour le dirigeant quel qu’en soient les raisons ?
Frédéric Duplessy : Oui, c’est particulièrement pénible et difficile. C’est d’ailleurs une situation qui ne s’envisage qu’en dernière extrémité. Dans mon cas, il aura fallu tout un ensemble de circonstances pour me décider à appeler un avocat, lui exposer les motifs de mon appel et d’ailleurs entendre de sa part qu’aucun des motifs exposés n’était recevable juridiquement, à part un bien sûr. Or, l’entreprise était en danger, et les emplois également. Il fallait absolument agir et trouver une solution. C’est éprouvant !
LCA : Licencier un(e) salarié(e) pour des raisons économiques est souvent plus complexe qu’un licenciement pour un manque de compétences ou pour un problème de savoir-être. La rupture est envisagée/mise en place pour sauver l’entreprise et d’autres emplois. Le fait de « sacrifier » quelqu’un est-il plus pénible qu’un licenciement pour faute par exemple ?
Frédéric Duplessy : Il m’est arrivé, en tant que Président d’association de licencier pour raisons économiques. C’est effectivement perçu comme « injuste » à plusieurs titres : le salarié n’y est généralement pour rien, son emploi est menacé pour des raisons techniques et financières indépendantes de ses compétences et de la qualité de son travail. Les modalités juridiques et techniques entraînent parfois des injustices flagrantes dans le choix du salarié à « sacrifier ». Mais les lois ont été pensées pour pallier au mieux ces difficultés et ne peuvent tout prévoir. C’est toujours du cas par cas.
LCA : Dans le cadre d’une rupture pour manque de compétences ou pour une attitude inadaptée, le licenciement peut-il psychologiquement être un soulagement pour le dirigeant ?
Frédéric Duplessy : Sur le moment, c’est très éprouvant car il y a toute la phase de prise de décision et de préparation technique, administrative et juridique en amont. Il y a toute la période des procédures où le patron est sur le terrain et ne peut se dérober à rien. Impossible de déléguer ! Et je ne parle pas des suites s’il y a un recours. Même dans ces phases les conseils peuvent être aussi présents (expert-comptable, avocat, etc.). Il n’empêche que toute la responsabilité technique, financière et morale incombe au chef d’entreprise.
LCA : Dans un licenciement, psychologiquement toujours, le préavis n’est-il pas une période insoutenable pour l’entreprise, son dirigeant et le/la licencié(e) ?
Frédéric Duplessy : Comme je commençais à le souligner à la question précédente, oui, et aussi que l’épreuve est aussi dure pour le salarié que pour le patron. J’ai moi-même été salarié avant d’être chef d’entreprise, et je savais exactement ce que je faisais subir psychologiquement, émotionnellement et économiquement à chaque personne à laquelle j’infligeais cela. Et ceci venait à s’ajouter à ma propre pression personnelle. C’est un échec aussi : moral, humain, professionnel et économique. Mais c’est également un acte de gestion salutaire.
LCA : Dans les PTE-PME, le Chef d’entreprise côtoie tous les jours ses collaborateurs(trices). Il y a des liens qui se créent. Lorsqu’il y a de l’amitié entre les deux personnes, cela change-t-il la donne pour le dirigeant ? Est-ce plus confus ?
Frédéric Duplessy : C’est terrible et écrasant. Tout dépend, pour la gestion de la situation, de l’expérience de vie des deux personnes et leur capacité à gérer. Mais c’est à proprement parler hors norme, impensable et même souvent inouï.
LCA : Est-ce qu’un licenciement est plus « simple » si le chef d’entreprise est clair avec lui-même, sa posture de leader et sa prise de décision (motif du licenciement entre autres) ?
Frédéric Duplessy : C’est le but ! On ne licencie pas quelqu’un sur un coup de tête ! C’est toujours un acte de gestion, pensé, pesé et préparé. Sinon, ce n’est pas recevable et le chef d’entreprise va au-devant de difficultés, reports, ajournements et annulations. Sans parler des conséquences économiques et techniques.
LCA : Souvent lors d’un conflit avec un(e) salarié(e), le/la chef(fe) d’entreprise a une sensation d’injustice, parfois d’avoir été floué(e) voire trahi. Comment faire face à ce sentiment déplaisant ?
Frédéric Duplessy : Il faut savoir que les difficultés proviennent souvent, avant tout d’une faute quelconque d’un côté ou de l’autre, de la sensation d’un contrat moral bafoué, que ce soit côté salarié ou côté employeur. Ceci est dû au fait que la marque employeur est souvent trop belle par rapport à la réalité et les entretiens préalables s’en ressentent avant l’embauche, et que d’autre part, le candidat va mettre ses atouts en valeur, et va souvent développer une suractivité en période d’essai qu’il ne respectera pas forcément ensuite. Du coup, dès le départ, il peut y avoir un décalage dû à des déceptions souvent minimes mais déjà présentes.
C’est important de crever l’abcès dès le départ et de s’assurer qu’on ne s’est pas trompé. Ensuite, le cours de la vie fait qu’on ne peut pas toujours être constant dans ses engagements. Du coup, ici aussi des points de désaccords, de désillusions, peuvent se développer de part et d’autre. Bref, c’est comme toute relation : cela s’entretient, notamment par le dialogue et la confiance. Cette confiance ne peut s’acquérir dès le départ. C’est très rare. Et certainement pas parce que l’on paie quelqu’un.
LCA : Le licenciement est-il un échec ou un accident de parcours ?
Frédéric Duplessy : Franchement, cela dépend de la situation. Mais il faut quand même partir du principe évident, que tout échec n’est de toutes façons qu’un accident de parcours. Penser autrement n’est pas dans l’ADN d’un entrepreneur. Le reste n’est que jugement. Et les faits démontrent toujours que le jugement n’a pas sa place dans une stratégie, quelle qu’elle soit.
LCA : Le licenciement fait partie de la vie de l’entreprise et de son dirigeant. Avez-un conseil pour accepter cette idée ?
Frédéric Duplessy : Entreprendre, c’est prendre des risques. Surtout parce que la législation est instable et incertaine. Difficile de tenir des prévisionnels quand les règles du jeu changent en permanence. Par contre, on ne peut pas jouer avec les salariés. Ce sont nos équipes, et elles sont précieuses. Il est toujours difficile d’évaluer les risques pris en embauchant, mais il existe tout un ensemble de méthodes, d’outils et de conseils pour mettre en place un tel projet, en s’assurant la meilleure chance de pérennité et de résultat possible. Une entreprise est là pour produire de la richesse, celle de l’entreprise, des salariés, des fournisseurs, etc. C’est son seul et unique but. Si ce but est mis en danger, il convient au chef d’entreprise de PTE-PME de corriger le tir. Les variables d’ajustement ne sont pas nécessairement les emplois. Mais ils en font partie. Les salariés sont la première richesse et le premier levier de production de richesse d’une entreprise. S’en séparer est un non-sens, parfois obligatoire.
LCA : Avez-vous des conseils sur l’attitude à avoir pour qu’un licenciement se passe le moins mal possible ?
Frédéric Duplessy : Difficile de parler de bienveillance à ce moment précis de la vie de l’entreprise et du salarié qui doit quitter le navire. Toutefois, des solutions plus ou moins brutales existent. Certaines procédures sont terribles mais nécessaires si les circonstances l’exigent. Essayer d’atténuer cela par un comportement humain est parfois empêché par les nécessités de la procédure. C’est pourquoi délicat de répondre positivement sur ce point. J’ai pour ma part essayé à chaque fois, mais les impératifs juridiques et techniques empêchent souvent les scénarios que nous préférerions humainement mettre en place. C’est un aspect méconnu mais vraiment à savoir au préalable : il n’y a jamais de « bonne » solution ! Et cela fait toujours des dégâts ultérieurs dans les équipes, la clientèle, l’image et l’équilibre général de l’entreprise.
Comment retrouver Frédéric Duplessy ?
Si vous avez des difficultés à gérer et/ou à analyser certaines situations délicates en tant que dirigeant, n’hésitez pas à consulter le site de Frédéric Duplessy pour en savoir un peu plus. Son site est très bien fait puisque vous pouvez y retrouver ses conseils dans d’excellents billets : //psychanalyste-duplessy.fr/
Vous pouvez aussi vous abonner à sa chaîne Youtube : //youtu.be/G0ZiZIninzw
Je vous invite à vous inscrire à ses conférences sur des thèmes stimulants tels que l’entreprenariat et la posture de dirigeant.
Et si vous aimez lire, que la psychanalyse vous intéresse et que vous chercher des solutions pour régler des problèmes (car oui, il y a toujours des solutions), attendez quelques semaines pour pouvoir commander son livre : « L’esprit d’analyse : la psychanalyse à portée de tous ». D’ici peu, je vous mettrai son lien pour commander en ligne son petit chef-d’œuvre que j’ai eu le plaisir de lire en tant que relectrice.